Je ne souhaite pas m’étendre sur la première réunion d’information du Conseil Départemental au début de la procédure (et de ses statistiques qui plombent le moral …) ni sur les entretiens avec l’équipe pour obtenir l’agrément … Non, je commence mon récit juste après l’obtention du fameux sésame, cette autorisation qui déclenche une reconnaissance d’être des parents potentiels !
Une première difficulté dans notre parcours sur le long chemin de l’adoption se présentait alors à nous.
Répondre à cette question : « Quel pays pour quel enfant ? »
Ethique dans le projet :
Au début, le choix semblait très vaste et les démarches individuelles étaient encore possibles pour bon nombre de pays … Après un croisement des informations relatives aux critères des pays, et cela, bien évidemment, en fonction de nos attentes concernant notre enfant idéalisé, la fenêtre des possibilités s’est grandement réduite. Mais par quels moyens ? Démarches individuelles, OAA (Organisme Autorisé pour l’Adoption)? Quelle voie prendre ? les 2 ?
Heureusement, nous n’étions pas seul dans cette démarche et nous avions créé des liens avec d’autres postulants. Nous échangions sur nos avancées respectives lors de groupes de paroles organisés par le Conseil Départemental. Nos compagnons de route suivaient des chemins différents. Nous nous rendions compte des disparités d’avancement dans les projets. En voici quelques exemples :
- Un couple avait eu rapidement un apparentement avec une photo pour un enfant d’Haïti en démarche individuelle mais la suite de leur parcours s’est compliquée suite notamment au séisme de 2010 et ses conséquences.
- Un autre couple, retenu par une OAA, avait bon espoir d’avoir une attribution d’un enfant Vietnamien du fait de l’origine de son futur père et de l’existence d’un régime dérogatoire mais ce dernier a été suspendu peu de temps après le début de leur démarche.
- Ou bien d’autres couples qui voulaient un enfant « à tout prix » quitte à demander à leur équipe de « modifier leur notice pour coller aux critères d’un pays et pour qui, l’argent n’était pas un problème »
Ces derniers exemples nous ont fait beaucoup réfléchir : Indépendamment de l’importance de rester dans le cadre de notre projet, la question de l’argent nous a interrogé : Est-ce que l’on peut acheter un enfant et comment lui expliquer plus tard ? quel est la limite budgétaire que nous nous fixerons ?
Après un temps de latence pour digérer ces différentes possibilités de parcours et affiner notre projet, nous avons décidé finalement de nous orienter vers la Bulgarie.
En fait, nous avons une amie bulgare et qui a, sans doute, influencé un peu notre choix sur ce pays de l’Est qui nous attirait déjà avant notre projet. Tout d’abord, elle nous a mis en relation avec une de ses connaissances, Avocate au barreau de Sofia. La CLH (Convention de La Haye) venait juste d’être ratifiée et le pays était à nouveau ouvert mais il existait toujours, en fait, un réseau d’intermédiaires qui pourrait faire avancer notre dossier et cela malgré la mise en place officielle d’une loi anti-corruption. L’avocate nous a fait comprendre qu’elle avait bon espoir pour notre candidature (et nous a annoncé un tarif d’honoraires d’environ 20 000 €…)
Nous n’avons pas souhaité donner suite à cette démarche car cela ne correspondait pas à nos valeurs et notre idée du projet d’adoption. Comment l’expliquerions nous à notre enfant plus tard, lorsqu’il posera des questions sur ce thème ? Nous étions mal à l’aise tout comme notre amie qui regrettait un peu de nous avoir mis en relation avec cette avocate.
Nous avons donc déposé un dossier à une OAA habilitée pour la Bulgarie. Notre candidature a été retenue après un quasi deuxième agrément. Elle avait un coût également mais justifié (traduction du dossier, démarches dans le pays par ceux qui nous représentaient etc…) tout était écrit avec un calendrier des échéances.
Nous étions rassurés de « passer par cette voie légale même si cette démarche serait certainement plus longue… »
De l’agrément à la rencontre :
Les mois ont effectivement passés après la constitution et l’envoi du dossier (source de tracas comme par un exemple, d’obtenir un certificat de non déchéance parentale alors nous n’étions pas encore parents !!). Nous avions dû remplir la première grille des particularités acceptées (qui venait juste de sortir … elle faisait déjà 4 pages contre 7 ou 8 actuellement !) alors que notre projet portait sur un enfant en bonne santé et le plus jeune possible … Cette grille nous a toutefois permis « d’affiner les limites que nous pourrions accepter pour un enfant à particularités ».
Nous avons reçu quelques semaines plus tard, le numéro d’enregistrement du dossier au Ministère de la Justice Bulgare. Restait maintenant l’attente du coup de fil, celui qui normalement fait battre le cœur…
Puis un Jeudi après-midi, sur mon lieu de travail alors que je traitais une affaire délicate, l’appel tant espéré a retenti :
Bonjour Monsieur, c’est la Responsable géographique de l’OAA à Paris. Est ce que vous pouvez vous isoler quelques minutes svp ?
Inutile de vous dire que je suis allé très vite me positionner dans un endroit calme, assis, avec papier et crayon pour ne rien louper.
Et là, en peu de temps, l’instant magique tant rêvé a viré au cauchemar… En effet, dans la description de l’enfant, plusieurs points ne collaient pas à notre projet …
Il présentait une double fente palatine et un problème cardiaque alors que nous n’avions pas accepté ces particularités. Et de surcroit, j’ai reçu dans la foulée, la photo (qui fait appel à notre intuition et qui est purement subjective) ainsi que le dossier médical (qui nous donnait des éléments plus objectifs), le tout avec une réponse à donner sous 48h !
J’ai tout de suite appelé mon épouse, lui ai fait un résumé du dossier et fait suivre le mail. Inutile de vous dire que ce soir là, nous sommes partie tôt du bureau (de toute façon, nous étions incapable de nous concentrer après ce mini tsunami !!).
Surtout que « nous devions donner notre réponse dans un délai très court après tant de mois d’attente ! » Nous avons donc pris contact avec le médecin de la COCA (Consultation d’Orientation et de Conseils en Adoption ) qui a pu nous faire la lecture du dossier médical et nous mettre en contact avec un spécialiste de la fente palatine sur Nice (que nous avons eu le soir même au téléphone et qui nous proposait même de le rencontrer après ses consultations).
Et nous avons contacté l’antenne locale de l’OAA en indiquant qu’il nous fallait un peu plus de temps pour répondre. « La décision n’était pas simple et nous engageait pour la vie ». Après un rendez vous avec l’équipe qui nous gérait sur Nice et un long week-end de réflexion, nous avons décidé de refuser cet apparentement car il était trop éloigné de notre projet initial. Comment accueillir cet enfant alors que cela ne sonne pas juste ? Chose étrange aussi, face à la photo de l’enfant, nous ne savons pas l’expliquer, mais nous ne sentions pas les futurs parents de cet enfant.
L’OAA nous avait rassuré concernant cette possibilité de ne pas donner suite … On ne serait pas pour autant radié ou mis sur une pile à part …
D’un autre côté, nous avions toujours espoir d’avoir un pupille de l’Etat et confirmions chaque année notre projet accompagné de photos réactualisées pour que notre dossier ne soit pas oublié. Et quelques mois plus tard ….
Nous avons reçu un coup de fil du Conseil Départemental, un mercredi soir à la maison, pour nous annoncer l’attribution d’un pupille de l’Etat.
Nous avions peu d’éléments (ni âge, ni sexe) mais devions nous présenter le lendemain à ASE. Et cette fois ci, notre cœur a battu très fort. Nous avons pu prévenir nos employeurs et partir confiant vers le Conseil Départemental.
La première présentation du dossier était assez succincte et sans photo mais pour en savoir plus, il fallait confirmer que nous nous sentions parents de cet enfant. Et dans notre for intérieur, et aussi bizarre que cela puisse paraître, c’était bien lui ! Une fois accepté, nous avons eu plus de détails et surtout des photos. Inutile de vous préciser les effets de ce deuxième mini Tsunami ! De plus, un rendez-vous était pris pour l’après-midi même à la pouponnière sur Nice pour le voir en chair et os. Juste le temps d’aller chercher une peluche…
Avant notre première rencontre avec la référente de l’enfant, nous nous sommes posé des questions du style : Et si l’enfant nous rejette ? « Serons-nous d’assez bons parents ? » (questions que cette référente de la pouponnière s’était posée aussi de son côté - nous a t-elle confié plus tard - tant la relation établie avec notre enfant était forte). Au fil des heures, la confiance s’est installée entre notre fils et nous; la transmission s’est effectuée en douceur notamment par l’intermédiaire de la peluche achetée quelques heures plus tôt. Nous avons pris auprès de la référente, un maximum d’informations sur les habitudes, les rituels, les goûts de Notre Enfant.
Nous avons passé les jours suivants à la pouponnière et il a donc fallu organiser à distance l’équipement de notre foyer pour le recevoir car nous n’étions plus maître de notre emploi du temps et nous voulions savourer toutes les minutes passées avec lui. N’ayant pas, du coup, le temps d’aller acheter le matériel, nous avons fait appel à notre réseau d’amis qui s’est mis en action (montage du lit le dimanche, livraison du matériel prêté chez nos parents, etc …). Nous avons trouvé facilement ces ressources car tous étaient contents de cet aboutissement de notre projet et heureux d’y participer à leur manière.
Le mercredi suivant le coup de fil, nous avons pu ramener notre enfant dans son foyer, prêt à l’accueillir. Ca y est ! « Nous étions entrés dans la communauté des parents ! »
La création du lien :
Nous avons pris nos marques assez rapidement. Les réunions à thèmes du Conseil Départemental suivies pendant notre phase d’attente et la formation express effectuée par le personnel de la pouponnière nous ont permis d’être assez à l’aise avec notre enfant de 7 mois déjà. Mon épouse a pris un congé parental pour assoir solidement cette nouvelle relation qui ne pouvait pas s’établir dans les quelques jours du congés adoption (que j’ai pris du reste !). Nous ne regrettons absolument pas ce choix (qui a cependant un impact financier dans les revenus du couple) et recommandons de le faire dans la mesure du possible.
Après avoir limité aux proches les rencontres dans les premières semaines, nous avons eu ensuite un défilé de visites accompagnées de chaleureux compliments. Après avoir obtenu l’aval du Conseil de Famille au bout de 6 mois de placement, il ne restait plus qu’à préparer la requête au TGI pour obtenir l’Adoption Plénière.
La création du lien a vraiment débuté dès la première rencontre au travers de nos yeux qui ont croisés les siens. Puis au travers du toucher du visage et du temps passé dans les bras. La personne, à part nous, à laquelle notre enfant s’est particulièrement attaché, c’est sa grand-mère maternelle … peut-être parce qu’elle ressemble un peu à sa référente de pouponnière.
Ce lien très fort persiste encore aujourd’hui entre nous. Il continue depuis, par « des tests pour éprouver sa solidité ». Notamment dans la voiture, où des questions importantes pour lui, sont posées car il sait qu’il est dans une bulle sans échappatoire pour ses parents. Mais chaque jour, il nous remplit de bonheur et nous fait oublier ce long chemin pour fonder notre foyer qui a duré 12 ans quasiment jour pour jour.
Pour conclure, je citerai la morale ouvrant la fable de Jean de La Fontaine (Le lièvre et la Tortue) :
Rien ne sert de courir il faut partir à point
L’adoption n’est pas une course mais un projet de vie, celui de fonder une famille. Il faut le murir sereinement et « ne pas s’écarter des critères que l’on s’est fixé même si la phase d’attente pourra être longue ». Elle permet justement de définir nos limites qui doivent être les bornes à ne pas dépasser pour réussir son projet d’adoption.
Philippe - Juin 2016