Les Alpes-Maritimes sont un véritable conservatoire à ciel ouvert de l’art de la fortification. Au fil des siècles, l’histoire tourmentée de ce territoire, son exposition et la nécessité de le défendre, ont contribué à l’édification d’un patrimoine fortifié inestimable. Edifié du XVIème au XXème siècle, il constitue un témoignage essentiel et palpitant de l’histoire maralpine.

Le patrimoine fortifié est le fruit d’un contexte géostratégique européen en perpétuelle évolution du XIVème siècle au XXème siècle générant jusqu’à la chute de l’Empire napoléonien des affrontements entre la France, la Maison de Savoie puis le Royaume de Piémont-Sardaigne. De part et d’autre du fleuve Var, matérialisant la frontière entre les deux Etats, les ingénieurs militaires des deux camps ont édifiés de nombreuses fortifications qui se sont adaptés au relief de ce territoire entre mer et montagne et au progrès de l’artillerie. Avec l’annexion du comté de Nice à la France en 1860 et l’avènement de l’artillerie rayée, la fortification bastionnée a laissé place à de nouvelles formes architecturales semi-enterrées, imaginées du côté français par le général Séré de Rivières et imitées du côté italien avec les forts du col de Tende.

Avec le traumatisme de la Grande Guerre et la montée du Fascisme en Italie, les ouvrages fortifiés se multiplient de part et d’autre de la frontière. Les “Maginot” s’opposent aux “Vallo Alpino”, dans un département où le découpage frontalier ne respecte pas les lignes de crête et où la France possède un saillant au milieu de la vallée de la Roya. Le béton armé assure la sécurité des hommes. Concertés d’innovations techniques tant au niveau de l’électromécanique que de l’artillerie, les ouvrages Maginot des Alpes-Maritimes, ont démontré leur vaillance durant la Seconde Guerre mondiale. Délaissé après la Guerre Froide, ces ouvrages fortifiés ont suscité un regain d’intérêt grâce à des associations très investies et des communes soucieuses de préserver ce patrimoine.

Les forts bastionnés - XVIe-XVIIe siècle

Face aux progrès de l’artillerie, les forteresses médiévales se révèlent obsolètes. Les murs ne protègent plus. Les mâchicoulis sont facilement détruits. Les forteresses qui autrefois privilégiaient les hauteurs pour se défendre doivent s’enterrer pour faire face à la puissance destructive des canons.

A la fin du XVe siècle, les guerres d’Italie favorisent l’adoption d’un concept architectural révolutionnaire : le système bastionné. Doté d’une artillerie considérable l’armée française détruisaient en quelques jours des fortifications qui avait nécessité des années de construction au Moyen âge.

Les architectes italiens (Antonio da Sangallo, Michele Sanmicheli…) imaginent le bastion comme une plateforme d’artillerie maçonnée remblayée de terre pour mieux encaisser les coups de canon. Moins hauts pour avoir moins de prise aux impacts et plus épais, ces bastions pentagonaux remplacent les tours rondes du château fort. Le bastion est caractérisé par les saillies en pointe de flèche qui donnent à l’ouvrage fortifié la forme d’une étoile ou d’un cristal. Le tracé pentagonal :

- limite les angles morts, - présente un éperon face à l’ennemi et non un mur, sensible aux coups de canon. Le terrain environnant est remodelé et prive de tout abri les attaquants contre les tirs défensifs. Exigeant des investissements considérables, la fortification bastionnée ne peut être assurée que par des Etats.

Chaque bastion composant l'enceinte est défendu par les feux croisés des ouvrages collatéraux auxquels on donne un plan pentagonal. Le flanquement supprime les angles morts permettant autrefois aux assiégeants de saper la muraille sans être exposés aux tirs des défenseurs. Les bastions sont construits à intervalles réguliers correspondant à la portée des pièces d'artillerie utilisées (une centaine de mètres)

Les forts de la place de Nice : le système Séré de Rivières 1879-1902

Annexé en 1860, La place de Nice devient le cœur d’un dispositif fortifié, sans en être le noyau de défense principal. Tenant compte de l'expérience des campagnes précédentes, la France n'envisage pas d'envahir le Piémont, mais de pratiquer une défensive active visant à réaliser l'économie du maximum de forces au profit du théâtre d'opérations du nord-est, face à notre adversaire principal, et où doit se jouer la décision. Le château de Nice, a été démantelé en 1706, la citadelle de Villefranche et le fort de Montalban, classé malgré tout dans la liste des places de guerre n’ont pas été modernisés. Les batteries côtières rénovées dans les années 1861-1862 (batterie de Beaulieu, du Phare, de la Rascasse) et celles programmées à l’instar de la tour du graillon ou la tour de St Hospice sont rapidement obsolètes suite à la découverte de l’artillerie rayée en 1858 et l’augmentation de la puissance et des calibres des canons de marine.

Le dispositif fortifié visant à fermer les débouchés des vallées alpines convergeant vers Nice s’appuie sur une ceinture de forts surplombant la rade (Les piliers de la place de Nice : Mont-Chauve d’Aspremont, Drète, Revère, Tête de Chien). L’emplacement des ouvrages militaires, qui s’appuient mutuellement, est dicté par les portées de l’artillerie (de l’ordre 6 km en 1874) par le relief et les obstacles naturels. La ceinture de forts est complétée par des batteries d’intervalles lorsque la topographie des lieux ne permet pas d’assurer la continuité des plans de feux. L’objectif étant de mettre hors d’atteinte la place de Nice à l’artillerie terrestre.

Panorama sur les Hauts du fort pour une mise en situation.

Cette ossature va être complétée en 1882

En avant du dispositif, le fort du Mont-Agel, en surplomb, renforce la position.

Le fort du Barbonnet, joue le rôle de fort d’arrêt. Il n’est pas flanqué mais bénéficie de deux tourelles cuirassées en complément de ses plateformes d’artilleries. Il ferme la vallée de la Bévéra à toute invasion, interdit la route reliant Nice à Coni par le col de Tende et anticipe le contrôle de la future voie ferrée dont les projets sont bien avancés.

En avant-poste les fortifications du massif de l’Authion (Mille Fourches, Forca et Pointes des Trois communes) ferment les passages entre la vallée de la Roya et de la Vésubie. Dans la Haute-Tinée, le camp des Fourches et le fortin de Pelousette ont la même vocation.

La défense de la frontière italienne sur les Alpes : le camp retranché du col de Tende : 1881-1893

Un premier projet de place forte barrant la route entre Cuneo et la haute vallée de la Roya fut présenté dans le plan de défense général de l'Italie en 1871. Il répondait à un besoin stratégique engendré par l’annexion du comté de Nice la France en 1860 reportant la frontière à la limite des communes de Tende et de La Brigue. Ce premier projet, tirant parti de la ligne de crête comportait alors deux lignes de défense : le barrage de Tende, établi sur le col de Tende et ses abords et le camp retranché de Borgo San Dalmazzo.

Le camp retranché du col de Tende tel qu'il a été réalisé dix ans plus tard, après l'accession au pouvoir du président du conseil italien Francesco Crispi, hostile à la France et favorable à l'alliance avec l'Allemagne, correspond à une version réduite de ce premier projet. Il comporte deux lignes de défense est-ouest.

Une ligne haute, qui suit le développement des crêtes des Alpes, de Giaure à la cime de Pepino (Pépin), sur un développement de 7km. Une ligne avancée en léger contrebas vers la vallée de la Roya, de 3km de développement, entre Margheria (La Marguerie) et Taborda (Tabourde).

L'ouverture, prévue et réalisée en 1882, du tunnel routier du col de Tende, et le projet de voie ferrée entre Cuneo et Vintimille rendait d'autant plus impératif la mise en place d'un dispositif de contrôle militaire et de barrage de la frontière.

Malgré les projets et les réflexions du comité du Génie Italien autour du blindage des forts alpins italiens, les forts du col de Tende conservent les caractéristiques des forts de barrage aux murs d’enveloppe hauts, non défilés par leurs fossés.

L'adjudication des travaux du camp retranché fait l'objet d'un premier marché passé avec les entrepreneurs Giuseppe Maggia et Bartolomeo Mersi, le 7 mai 1881. Il comporte en premier lieu la construction du fort de Colle Alto, ou Fort Central, puis celle du casernement central. Les travaux semblent être achever en 1883. La seconde tranche visant à la construction de cinq ouvrages de flanquement débute probablement au printemps 1884.

Entre septembre 1892 et 1893, les différents ouvrages furent reliés par des lignes téléphoniques et télégraphiques.

Pendant la première guerre mondiale, les ouvrages furent désarmés au profit du front autrichien. Obsolètes face aux progrès de l’artillerie, ils ne purent guère être utilisés que comme réserves de munitions et pour le cantonnement de troupes après-guerre.

Maginot et Vallo Alpino : des forts enterrés construit en 1928-1942.

Après la Première Guerre Mondiale, malgré le retour à la paix, la défense des frontières reste un enjeu majeur pour les autorités militaires et politiques françaises. Dès l’Armistice de 1918 signé, le Haut Commandement militaire projette la construction d’ouvrages fortifiés afin d’établir une ligne de feu ininterrompue du nord au sud englobant notamment l’Alsace et la Lorraine.

L’arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922 et ses revendications exprimées, sur le retour à l’Italie de Nice, de la Corse et de la Savoie, suscitent l’inquiétude de l’Etat-Major Français. La mise en place du Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes est actée en 1924. Il s’étend du Restefond à la Méditerranée.

A partir de 1927 la Commission d'organisation des régions fortifiées (CORF) établit le tracé définitif des positions et met en œuvre les chantiers pour la réalisation des ouvrages. Les premiers travaux débutent en 1928 à Rimplas avant de se généraliser à l’hexagone en 1929.

En 1930, avec le nouveau ministre de la Guerre André Maginot, les crédits alloués augmentent considérablement (2,9 milliards sur 5 ans). 

La plupart des ouvrages sont opérationnels en 1936 mais les campagnes de construction se poursuivront jusqu’en juin 1940 pour améliorer le confort à l’intérieur des ouvrages et compléter le dispositif par des casemates et des avant-postes.

Du côté Italien, les expériences malheureuses de Première Guerre mondiale sur le front autrichien, imposent à à l'armée italienne de revoir son système défensif.

A partir de 1931, elle projette la construction d’ouvrages plus petits et plus nombreux sur tous les points stratégiques de la frontière Alpine. Ils se protègent mutuellement et se développent en profondeur.

Ce dispositif comprend une « position de résistance » composée de deux lignes de défense parallèles à la frontière. Les fortifications de cette position sont profondément enterrées. Seuls les postes de tir sous casemates bétonnées et les cloches blindées émergent en surface. Ces ouvrages sont surtout armés de mitrailleuses, de canons antichars et de pièces d’artillerie (de 75 mm et de 100 mm).

À l’arrière de la « position de résistance » se trouve une « zone de déploiement » où prennent place des batteries d’artillerie lourde de 149 mm, des dépôts de munitions et de matériel ainsi que les casernements des garnisons des ouvrages.

En 1938, l’armée n’est plus en mesure techniquement et financièrement d’achever ce dispositif dans un délai raisonnable. Dans un contexte de fortes tensions internationales, le système défensif doit être augmenté rapidement. On construit à moindre coût de petites casemates dans les intervalles des ouvrages déjà existants. Le 1er septembre 1939, cette mesure reste très insuffisante. On prévoit le renforcement de la « position de résistance » en aménageant une troisième ligne de défense ainsi que la construction de nouveaux types d’ouvrages, plus gros et mieux armés. La ligne de défense ne se limite plus aux crêtes et s’étend au fond de la vallée. Peu ouvrages seront réalisés lorsque les travaux seront stoppés en 1942.