Valérie évoque le moment de la rencontre avec sa fille.

Cet instant, cette rencontre allait bouleverser ma vie, je l’attendais depuis si longtemps et pourtant, j’étais morte de peur...
 

Dès l’instant où je pose mon pied sur le sol de Kinshasa, la moiteur me saisit... Il fait nuit, chaud... Au loin, on aperçoit les lumières de la ville... Je sais que c’est là que ma fille m’attend... Avec Vincent, nous trouvons Monsieur David, notre chauffeur et Thérèse... Leur accueil est chaleureux... On embarque dans leur voiture très abimée, surprise qu’elle roule encore... ils nous disent « fermer bien les portes et fenêtres, au cas où... » ... J’essaie de remonter ma vitre et la stupeur, elle ne fonctionne pas et reste désespérément en bas...

On roule... Et on s’approche... Le bruit de la ville est surprenant... Ville embouteillée... Nous mettons 2 heures à parcourir 10 kilomètres... les gens sont dehors, ils rient, chantent, crient, se disputent, courent, s’accrochent aux voitures... Je reste muette, regardant chaque geste, chaque recoin.... Vincent me sourit, essaie de me rassurer... Notre voiture s’arrête au niveau d’un bus où le nombre de personnes dépassent largement le nombre de places assises… Et mon regard croise celui d’un enfant dans ce bus... Je ne le quitte pas des yeux, lui non plus... On se sourit... A cet instant, Thérèse nous dit « j’ai vu votre fille ce matin, elle est superbe... vous avez de la chance... demain, je viendrai vous chercher à 9h pour la voir »...

Je réalise que oui demain, j’ai rendez-vous avec ma fille ici à Kinshasa...

 

Cet endroit familier pour elle et pour moi, un immense saut dans l’inconnu... Je suis envahie par le trac... J’ai qu’une hâte arriver à l’hôtel... Loin de ce bruit, de ce monde, de ce tumulte...et enfin, nous arrivons... Ce soir, nous passons notre denier repas sans enfant... Entendant en bruit de fond les chants et tambours résonnés de l’église situées juste à côté de notre chambre...


Le lendemain, Thérèse et Monsieur David arrivent, la voiture a changé, ma fenêtre se ferme ! De jour, la ville me paraît plus tranquille... Nous roulons en évitant les énormes fossés et trous sur notre parcours... Nous entrons dans la zone industrielle de Kinshasa... Aucune indication de l’orphelinat... Le clignotant retentit, la voiture tourne et un énorme portail bleu entouré de barbelés se dresse devant nous... Il est inscrit dessus en lettre blanche « Don de Marie »... Orphelinat...

Il faut taper à la porte, une petite lucarne s’ouvre et on nous laisse entrer.... La porte se ferme derrière nous... Nous sortons de la voiture... On attend... Au loin des enfants jouent... Je n’ose regarder... Sœur Marie Emma, la tutrice de notre fille arrive... Son sourire, son regard sont lumineux... Elle nous embrasse et nous dit: « je vais chercher votre fille... »

J’entends « Boum Boum Boum » ... C’est mon cœur qui bat si fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine ! Elle arrive, elle est dans les bras de Sœur Marie Emma, elle est de dos. Nous ne distinguons pas son visage... Elles se rapprochent et Sœur Marie Emma se tourne…

Pour la première fois, nous voyons le visage de notre fille...toute timide

 

Elle aussi a le trac et son cœur fait « Boum Boum Boum » ! Elle n’ose pas nous regarder... et sœur Marie Emma dit à notre fille en lingala: « je te présente ta maman, ton papa ! »… La sœur s’efface et nous laisse à l’écart, avec notre elle...

Je lui offre un petit cadeau, une peluche en forme de chien... Raté, elle a peur des chiens ! Nous faisons le tour de l’orphelinat, notre fille est toute fière de ne pas aller en classe car Papa et Maman sont là... Elle nargue ses petits camarades des étoiles plein les yeux… On joue ensemble...

Vient le temps du déjeuner... Nous sommes tous les trois dans une pièce toujours à l’écart... Notre fille veut nous montrer qu’elle sait manger toute seule à 2 ans ! Un vrai carnage mais elle accepte que je l’aide, la prends sur mes genoux... Et je sens très vite une chaleur envahir toutes mes jambes... Elle m’a fait pipi dessus ! Bon... Je l’accepte comme un don, un premier cadeau... !

L’heure de la sieste a sonné mais elle ne veut pas aller dormir... J’essaie de la poser dans son lit à barreau au milieu de ce dortoir rempli d’autres enfants... impossible, elle se débat, ne veut pas... Sœur Marie Emma intervient et la couche... Nous partons déjeuner et lorsque nous revenons notre fille est réveillée et a demandé « où est son papa ? Maman ? »

Elle continue à jouer avec nous... Elle enlace son père... La journée avance, elle est de plus en plus décontractée et nous aussi... Vincent se met en retrait... Et je commence à chanter... Elle s’approche de moi... Vient sur mes genoux... Et chante... Elle me regarde, me sourit... Je sens sa peau contre la mienne, elle approche de plus en plus son visage contre le mien... Nous continuons à chanter... Elle frotte sa joue contre la mienne... Elle me serre dans ses bras, je la serre aussi... Je sens son odeur....

Aujourd’hui, j’ai rencontré ma fille dans la zone industrielle de Kinshasa entouré de barbelés et à des milliers de kilomètres de mon chez moi…

A cet instant précis, où j’ai senti son odeur, entendu les battements de son cœur, je n’ai plus eu jamais peur...

Valérie