Eté 2014 :
Je suis invitée à diner chez une amie bulgare. Je suis accompagnée de mon petit garçon, 3 ans, pupille de l’état, adopté en 2011 à l’âge de 7 mois, après plus de 4 ans de démarche.
Pendant le repas, elle me dit : tu te souviens de notre visite chez mon amie avocate qui t’avait demandé 20 000 euros pour adopter un enfant en Bulgarie ?
Bizarrement, j’avais oublié cet épisode du début de notre parcours de parent adoptant.
« Oublié un évènement, qui pourtant nous avait fortement perturbé mon mari et moi » et influencé nos choix dans la démarche d’adoption.
Je me souviens ….
En septembre 2008, après avoir obtenu notre agrément, sésame tant souhaité, nous ne pensions avoir aucune chance d’adopter un enfant pupille de l’état.
Nous avons 40 ans tous les deux, nous savons qu’il y a peu d’enfants adoptables sur le département, nous envisageons donc de nous diriger vers une démarche internationale.
Plus particulièrement, c’est vers la Bulgarie ; pays pour lequel un OAA (Organisme Autorisé pour l’Adoption), dont une antenne était située sur Nice, pour lequel notre profil répondait à leurs critères de sélection et dont notre dossier pouvait être accepté.
A ce moment là, c’est le tout début de nos démarches.
Mon amie bulgare, témoin de notre parcours semé d’échecs pour avoir un enfant naturel, souhaite que notre projet aboutisse rapidement et essaie de nous aider.
Elle nous propose de rencontrer une amie avocate bulgare, qui s’est déjà occupée de dossiers d’adoption dans son pays, il y a quelques années et qui accepte de nous recevoir.
A la fois heureux, inquiets, plein d’espoir et surtout munis de notre agrément, mon mari et moi, nous rendons au domicile ce contact. Mon amie nous accompagne.
Nous nous rendons dans un quartier très chic d’une ville du littoral, et pénétrons dans un appartement cossu.
Nous découvrons une jeune femme, charmante, élégante, à l’accent très prononcé, qui nous reçoit dans son salon, nous demande de nous installer dans un canapé, dans lequel nous étions noyés tant il était grand et nous donnait l’impression de disparaitre.
L’avocate, elle, grande droite trône sur un fauteuil en face de nous.
Après nous être présenté rapidement, elle commence par nous dire que notre projet lui semble possible mais que cela aura un coût d’environ 20 000 euros !
Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment là, mon cerveau est heurté par le chiffre et par un probable phénomène de défense, voilà que j’essaye de calculer ce que cela fait en francs… et les chiffres s’entremêlent « rendant la somme demandée encore plus insurmontable ».
Pendant ce calcul, je ne prête plus attention à ces propos, tout se mélange… des idées de mafia slave, d’orphelinats avec des intermédiaires aux dents en or, de rapts et … de je ne sais quoi encore m’empêchent de suivre l’entretien…bref je délire…
Je regarde mon mari qui, très attentif, prends des notes…mais fait la moue.
« Je ressens que pour lui, aussi quelque chose sonne faux, le dérange! »
Je m’arrête sur le regard de mon amie, qui me sourit, … essayant de cacher sa gène devant ce marchandage alors que cette démarche était pour elle, un accompagnement de cœur.
Je balaye d’un regard son appartement très bien décoré, peut être un peu chargé, dans un style baroque avec des tableaux volumineux, des bibelots clinquants de couleur or et argent, et je me demande, combien d enfants elle a pu mettre en relation avec des parents ? Sont ils heureux aujourd’hui….bref je ne me sens pas très à l’aise.
Je me ressaisis, elle nous indique que les règles internationales ont changées, et que cela sera long mais pas impossible…
D’après nos renseignements, la Bulgarie venait de rejoindre la Convention de la Haye et les démarches individuelles étaient devenues impossible depuis quelques mois…mais alors que nous proposait elle ?
« Combien coûte l’adoption d’un enfant ? Et pour quel enfant ? Sera-t-il celui qui nous va bien ? » Je suis angoissée !
Bien sur, je ne suis pas naïve, l’adoption internationale n’est pas gratuite.
Mais s’agit-il seulement de frais de dossier, d’accélérer les démarches administratives ou encore de faciliter notre projet auprès des autorités ?
Et comment vais-je dire à notre futur enfant, que j’ai versé une somme de 20 000 euros….pour qu’il devienne notre enfant…comment va t-il le vivre…alors que moi-même je ne suis pas à l’aise avec cette transaction où nous n’avons pas de détails ?
Après une brève analyse de cette rencontre, je découvrais que je ne voulais pas « un enfant à tout prix » même si au départ j’étais prête à tout !!! Mais tout quoi ? Il me fallait encore le découvrir ….
La personne en face de nous, me paraissait compétente et connaissait bien son sujet, alors pourquoi cette gène….
Des doutes persistaient sur nos possibles pertes de chance….en renonçant à passer par une démarche individuelle.
Finalement, avec le recul, « l’argent n’était pas le problème principal mais plutôt la discordance évidente que je ressentais avec mes valeurs d’honnêteté, d’éthique et de morale ».
Je me rappelle…
En sortant de ce rendez-vous tant attendu, nous étions tous les trois silencieux et mon amie nous suggère de réfléchir et nous dit, qu’elle-même ne s’attendait pas à ça….
Après quelques jours de réflexion, nous finissons par renoncer à collaborer avec cette avocate.
Aujourd’hui, ce jour est loin et ne m’atteint plus, mais le fait que mon amie ait retenu de façon aussi franche, plus de 4 ans après, cet épisode, renforce l’idée « qu’il est important de respecter ses valeurs ».
Je suis ravie de ne pas m’être précipitée et d’avoir pris le temps de réfléchir avec mon mari, qui m’avoua, quelque temps plus tard, qu’il avait l’impression d’être dans une relation d’affaire avec cette avocate et que ses espoirs s’étaient envolés en même temps que les miens.
Il nous a fallu quelques temps et de nombreux échanges pour trouver une issue plus en accord avec notre éthique et repartir sur notre projet, par le biais d’une OAA (Organisme Autorisé pour l’Adoption).
Après m’être délivrée de mes pensées, je reprends ma conversation avec mon amie et je lui dis que… dans ce projet d’enfant, la chose qui m’a permis de ne pas trahir mon projet est de me raccrocher à mes valeurs et à mes sensations, à mes ressentis face à chacun des évènements qui ont jalonnés ce parcours.
Pour éviter de nous perdre mon mari et moi et de rester nous-même, seule la lecture et la relecture de l’agrément nous a aidé à recadrer le projet… Même si parfois, en le relisant ….on s’est demandé mais pourquoi on a dit …telle ou telle chose ??? Et là, qu’est-ce que j’ai voulu dire ?
S’installe alors un jeu de ping-pong fait de questionnements et de doutes dans le couple.
Des négociations surviennent dans le couple, comme un jeu de va et vient pour revoir les critères annoncés lors des entretiens d’agrément….l’âge idéalisé, sa couleur, ses origines…etc.…
Quelques signes de découragements se pointent mais qui ne durent pas.
« Et si on demandait à modifier notre agrément pour répondre aux exigences des organismes autorisées pour l’adoption … pour aller plus vite ???? »
Pour retrouver la paix, la confiance dans notre projet d’enfant et combler cette attente, la chose qui nous a aidé, c’est de s’écouter et d’échanger avec d’autres couples dans la même situation, mais aussi avec les professionnels du Conseil Départemental, ou d’autres partenaires compétents dans l’adoption qui se placent en gardes fous, face aux dures réalités des exigences des OAA ou des intermédiaires internationaux.
Continuer de se faire confiance … et poursuivre son chemin !
Après cette expérience …pas si malheureuse que ça ! car elle nous a fait évoluer.
Il nous est apparu évident que nous étions attachés à une certaine morale dans le projet d’adoption « Il était important d’être au clair sur ce que nous ne voulions pas d’abord et savoir ce qu’il n’est pas possible d’accepter ! »
Ne pas tout accepter pour être parent, nous a permis aussi de ne pas nous égarer dans les méandres de l’adoption, d’être au clair sur ce que nous pourrions dire de l’adoption à notre enfant, yeux dans les yeux.
En regardant, notre petit garçon aujourd’hui, je sais que cet enfant est le nôtre.
Le fruit d’une gestation parentale lente, construite jour après jour, et que de ne pas trahir son projet, être au plus près de ce que l’on se projette comme enfant, de ce que l’on veut, permet de construire une base solide pour que s’installe la parentalité et la naissance d’une famille.
Dany - Juin 2016