De l’utilité de participer à un groupe de paroles dans l’adoption.

Un jour que nous cherchions une date avec des amis et que nous avons indiqué que tel soir, nous n’étions pas disponibles parce que nous avions un groupe de parole de parents adoptifs. Leur réaction fût une réaction d’étonnement et de pitié. « Quoi, 5 ans après, ils vous obligent encore à des réunions ! »

Inutile de vous dire que cela nous a bien fait rire.

Non, personne ne nous obligeait à rien et nous étions même joyeusement consentants.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Cela remonte maintenant à longtemps, à la fin de notre agrément. Notre équipe d’agrément, nous parle alors de groupes de paroles de candidats à l’adoption….pour ne pas rester dans le vide et casser la dynamique instaurée par l’attente.

Idée très louable de leur part, mais, dans notre tête, ça sonne faux !

Un groupe de parole ? Pourquoi faire ? C’est quoi cette histoire ?


Les alcooliques anonymes des infertiles ? Sommes-nous atteints par une addiction quelconque ? En quoi côtoyer des inconnus avec qui on ne partage rien d’autre qu’un dysfonctionnement biologique pourrait nous apporter quoi que ce soit ? Pire, alors que nous essayons de continuer à vivre et de mettre de côté notre tristesse le plus souvent possible, il faudrait remuer le couteau dans la plaie et se déprimer les uns les autres sur une situation sur laquelle personne n’y pouvait rien. Le tout, peut-être à vie tant l’issue était incertaine. Franchement, là, fallait pas exagérer !

Pourquoi alors y sommes-nous allés ?


Rétrospectivement, ça frôle le mystère. Je crois que ce qui nous a décidés était profondément métaphysique : le bénéfice du doute. Il faut dire qu’en matière d’adoption, on apprend beaucoup à douter…avec son corrélat : le « au point où on en est, on n’a rien à perdre ». Oui, parce qu’en y réfléchissant, nous n’avions pas besoin des autres pour être malheureux et donc, les autres ne pouvaient pas vraiment aggraver la situation. La proposition est alors passée de très mauvaise à neutre. Cela a failli être insuffisant. Il a encore fallu une pincée de curiosité. Celle-ci est venue de la confiance accordée à notre équipe. Équipe qui, si elle le proposait, devait bien y voir quelque intérêt, alors oui, nous avons eu cette curiosité.

J’ai oublié les détails de ce qui s’est dit lors de ce premier groupe. Mais une chose est sûre, nous avons voulu y retourner, à chaque fois. Sans en avoir de souvenirs précis, je sais que le côté humain y était exceptionnel.

Notre point commun à tous n’était pas le biologique, c’était le désir de transmettre, d’aimer un enfant, de le rendre heureux, sur du long terme, le désir de ne pas finir tout seul sans laisser de trace.

Alors, oui, c’était ce que nous avions de plus profondément humain qui nous réunissait. Qui plus est, chacun à notre manière. Nous avons rencontrés des personnes toutes différentes, qui avaient toutes un regard particulier sur la situation. Cette pluralité des regards est une véritable richesse.

Et puis, mine de rien, nous avons beaucoup appris. Ce qui était dit dans les réunions à thème ressurgissait ça et là, contextualisé et gagnait en sens. Nous devenions, si ce n’est apprenti expert, en tout cas, de plus en plus informés et formés. Nous apprivoisions le monde de l’adoption, son concept avec ses multiples facettes et sa complexe réalité.

Bien sûr, cela nous a aidés à attendre. Mais surtout, grâce à eux, nous n’avons pas fait qu’attendre, nous avons tous construit des projets et avec eux, nous nous sommes aussi construits comme parents. Nous avons tous rencontrés des difficultés, mais l’acharnement a pris le dessus. On n’avait rien à perdre, mais on n’était plus tout seul. Les échanges nous aidaient à balayer l’absurde d’un tel acharnement.

Je me souviens des 42 lettres de motivation aux 42 OAA agrées, suivies des 42 refus. Puis des 42 nouvelles lettres quelques mois plus tard, suivies elles aussi de 42 nouveaux refus. Il y avait de quoi jeter l’éponge. Mais les échanges nous ont appris que c’était, disons, normal. Au sens de partagé. Alors, on ne s’est pas laissé arrêter. On courait toutes les réunions. Le hasard des rencontres nous apprend un numéro de téléphone chez Médecin du monde. On tente. Plusieurs fois. La personne interpellée finit par nous donner le mail de quelqu’un. On écrit. Plusieurs fois. On obtient un autre mail. On écrit. Et on finit par avoir un rendez-vous ! On apprend alors qu’il va falloir participer à une longue série d’entretiens. Et puis enfin, plusieurs mois après, c’est le montage du fameux dossier. Nous savions que nous n’étions qu’au début de l’attente, mais nous avions obtenu un espoir. A ce stade, nous n’en demandions pas plus. Chacun dans le groupe vivait des hauts et des bas, plus ou moins bien, mais chacun cheminait.

Difficile après coup de savoir ce qui serait arrivé si nous avions été tout seuls, mais nous n’aurions probablement pas osé aller aussi loin et surtout nous l’aurions encore plus mal vécu, c’est aujourd’hui une certitude.

Pour nous, mais nous allions être suivis par d’autres, l’issue fût miraculeuse puisqu’à cette étape de notre histoire, nous avons reçu l’appel nous annonçant que nous venions d’être choisis par le conseil de famille pour être les parents d’une petite fille de 3 mois !

Sur l’immensité du choc, je dois préciser que le groupe ne nous a servi à rien : le tsunami a eu lieu et pour tout vous dire, nous ne nous en sommes toujours pas remis !

Ceci dit, il a alors fallu quitter le groupe de candidats, ce qui ne fût pas évident, avec un petit sentiment de culpabilité de quitter la galère et de les laisser ramer tout seuls. Heureusement, tous ont connu une issue heureuse plus ou moins rapidement.

La question d’intégrer un groupe de parole de parents n’en fût alors pas une : il était évident que nous allions en profiter.

Et c’est effectivement ce que nous faisons depuis : nous en profitons. Nous profitons des expériences de parents de chacun ainsi que des précieux conseils que nous y trouvons. Notre groupe fonctionne grâce à des principes qui, je pense, animent tous les groupes : l’écoute, la confiance, la bienveillance et la recherche collective de solutions à toutes les difficultés exposées.

L’aventure ne s’arrête pas le jour de l’adoption. C’est sur le long terme que nous nous construisons en tant que parents. Nous sommes sûrs que nous aimons nos enfants, mais nous ne sommes jamais sûrs de les rendre heureux. Nos enfants ont une histoire particulière. Ils doivent se l’approprier. Il faut savoir construire ce récit avec eux. Ces groupes nous préparent et nous aident au fil du temps à tisser cette histoire. C’est une aide que l’on accepte d’autant mieux qu’elle se fait dans la bonne humeur et le plaisir de se retrouver.

Oui, parce que je dois vous dire une dernière chose : au fur et à mesure de ces échanges nourris et empathiques, nous avons surtout rencontré de belles personnes et nous nous sommes même fait des amis.

Alors, vous comprenez maintenant à quel point ces réunions sont des contraintes. Ces groupes ne sont pas juste un petit plus proposé par le service adoption, ils sont le cœur de sa mission, parce qu’au-delà de l’immense service rendu aux futures familles puis aux familles disons en action, ils constituent une mine d’informations en étant probablement la forme la plus intelligente et la plus efficiente de suivi des adoptions. Or, l’objectif doit bien être celui-là : il ne s’agit pas seulement de permettre des apparentements, mais bien que ça « prenne » sur le long terme.

Laurence